Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

31 juillet 2005

rose jaune


rose jaune
Originally uploaded by gelzy.
«Je dis de toi et de la rose
mes poèmes sont évidents
je dis toujours la même chose
la vie l’amour la mort le temps » Claude Roy
*
Oh rose du matin
telle qu’hier tu me sembles
dressée dessus ta tige
pétales encore ourlés
du calme de la nuit.
Pas un nuage au ciel
pas une psalmodie
Rien que ta gorge offerte
aux lèvres du silence

Et le jour devant toi
comme un enfant béni.

30 juillet 2005

après l'orage

Ce matin il fait frais. L’orage d’hier soir a redressé les maïs, toutes les plantes.
Lui, non ! La pluie ne signifie que travail urgent dans les terres. Ses terres. J’ai garé mon vélo contre la clôture de sa cour, vérifié qu’il n’était ni derrière ni devant la maison, volets et fenêtres closes. Il est donc « dans les terres ». La terre ici ne signifie ni la planète ni le noble élément. Seulement la matière première des cultures. On dit « la terre de Triel », « la terre de Payerne », « Il est à la terre du Champ-La-Croix » …
Je l’aperçois qui arrive à pied par le chemin. Courbé, dépoitraillé tant il a chaud. Un vieillard de soixante-quinze ans. A mots hachés, il m’explique : sa voiture tombée en panne, son retour par le travers des champs de maïs, des ronces. Le bas de son pantalon mouillé, griffé, est suffisamment éloquent pour deviner qu’il rentre de la guerre. La guerre contre le temps et les mauvaises herbes, « la maladie » des plantes, contre la retraite des vieux et son inutilité. Oppressé, les traits tirés, cassé par l’effort et l’énervement (le mot stress lui est étranger), il se lamente contre lui-même, coupable de négligence, de malchance, coupable de manque de forces. J’essaie de lui courir un peu après pour le calmer, l’engager à s’arrêter pour se reprendre, boire un coup … Il n’entend rien. Il va « traiter » ses pommiers. Le tracteur et sa remorque de produits à pulvériser sont prêts. Il ne rentrera pas avant une heure. Il ne sera pas là pour réceptionner le panier du repas qu’on lui livre à domicile depuis le départ de sa femme.Tant pis ! Il sautera un repas. Il s’allongera sur le lit comme une masse. Il n'oubliera pas de prendre ses médicaments. Les terres ont besoin de lui. Coupable de les avoir abandonnées pour se soigner après que, fou de douleur, d’incompréhension, il eut tenté de quitter définitivement la scène.
Je ne peux rien lui dire. II ne m’écoute pas. Sur son rail de travail, de devoir, de refus de la réalité de son âge, il va, il va, il continuera sans changer la direction. Jusqu’à tomber d’épuisement. Et il ne sert à rien, ni pour lui, ni pour moi, d’avoir si mal de le regarder s’éloigner, cassé à demi par l’orage …

29 juillet 2005

mon voisin

Mon voisin a pris un coup d’vieux

J’sais pas c’qu’il a mon voisin
D’habitude, l’matin, c’est la goutte
A midi cinquante le café
Il est réglé comme un plumier
Et le soir pour corser l’affaire
Un canon d’rouge dans la soupière

Il ne m’invite plus le matin
C’est vrai je déclinais l’invite
Pour la goutte, mais dans le journal
Nous trouvions toujours un article
Qui lui faisait me raconter
Qu’la vie c’est un foutu métier

A une heure moins dix j’suis allée
Prétextant des courses à lui faire
Mettre mon nez dans ses affaires
Et franchement je suis atterrée
Il a acheté la télé
Avec un groupe électrogène

Je l’ai trouvé à treize heures trente
Assis sur sa chaise à trous
Qui attendait d’la bourse les coups
Tordus, les cours de la rente
Qu’depuis toujours il n’a pas eue
Mon voisin est vraiment foutu

C’est à peine s’il m’a dit « Je t’aime »
D’habitude il est plus bavard
Quand je lui chante un poème
Il applaudit fort comme un fou
Et tremble comme un vieil arrosoir
Rouillé et qui fuit de partout

Maintenant comme le coq de l’église
Il ne m’voit plus, il m’écoute plus
De l’écran il avale les miettes
Il rest’ gelé comme une banquise
à attendre qu’le train passe dessus
sa vie de pauvre chien à lunettes
Qu’est-ce que je peux bien faire Nom d’un chien
Pour le tirer de cette détresse
L’vin rouge, l’vin blanc : rien l’intéresse
Quant à la soupe il la mange plus
Il dépérit comme une rosière
Quand elle en peut plus d’ sa vertu

Nom de dieu ! J’ai b’soin d’un coup d’main
On peut pas le laisser sans soin
ça peut pas continuer d’la sorte
Sans poules, sans chèvres et sans escorte
Et du saucisson sur les yeux
Mon voisin est devenu vieux

J’sais pas ce qu’il a mon voisin
J’ai voulu vivre à la campagne
C’était pour qu’il me donne son pain
Ses œufs, ses contes et des salades
C’était pour écrire des poèmes
sur le vif, qui sentent le purin

C’était pour qu’mon voisin les aime
pour qu’tous les jours il pleure dessus
c’était pour qu’il me fasse l’aubaine
et l’aubade bien entendu
qu’est-ce que j’vais faire de mon voisin ?

qu’est-ce que je ferai sans mon voisin ?

28 juillet 2005

la voisine

La Maria sait tout du village
Elle connaît les jours et les nuits
La hauteur de l’eau dans les puits
Quand les rats montèrent aux arbres
En quarante-quatre
Le matin dès qu’elle se réveille
Elle se chante les vieilles chansons
Comme l’abeille fait son miel
Elle fait son temps à l’unisson
De sa mémoire
N’a jamais vendu d’cigarettes
Seulement du sucre et café
Quand on lui posait le courrier
Elle donnait du zan, des sucettes
A l’anis vert
J’aurais fait pour être la première
A arriver comme facteur
Honte à mon père et à ma mère
Sacrifié mes tartines au beurre
Et chocolat
Pourtant mes jambes étaient bien minces
Aussi fines que des changuillons
Mais pour courir à sa maison
J’mettais du courage dans mes pinces
Sur le goudron
Aujourd’hui c’est pas des bonbons
Que j’ vais quérir dans sa cuisine
Ni même une ancienne chanson
C’est l’image de ma voisine
Collée sur l’album de ma vie
Aussi belle que l’eau dans le puits
Aussi rare que du lait d’ânesse
Aussi simple que les dents d’sagesse …
ou les dents d’lait

Ils viennent avec de drôles de boîtes
Soi-disant pour l’enregistrer
Un micro ça elle sait c’que c’est
Puis s’en vont réécrire l’histoire
Qu’elle a chantée
Mais elle refuse les caméras
Elle a trop l’menton en galoche
Elle voudrait pas que des p’tits mioches
Aient peur d’elle dans le miroir
Aux alouettes

La Maria ma vieille voisine
Bientôt j’pourrai plus l’écouter
Ni Jeanne ni la Joséphine

Il va pleuvoir
il va pleurer

en liaison avec Julie 70

27 juillet 2005

ecrire pour ne pas dire

ECRIRE POUR NE PAS DIRE

Pour s’attacher aux mots
plutôt que de se pendre
Quand il fait froid dehors
inventer son soleil
Le placer dans son dos
dans le rétroviseur
Vérifier de la flamme
le son et la couleur
Ecrire dans le halo
ou en pleine lumière
Pour éviter de dire
à la glace d’en face
que l’on n’a plus vingt ans
Ecrire de rire
Pouffer de la chaleur
Au cerisier perdu
accrocher des cerises
bien mûres,
des blanches fleurs
d’un Japon à venir
Crépiter de la main
ou de l’ordinateur
L’écrire si belle
la musique
qu’on se la fait la belle
en trois mouvements
et en cinq sets

26 juillet 2005

Anna


Anna
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La vieille dame

Je l’ai revue après une année. Toujours aussi fine, fluette et forte. Toujours aussi aristocratique. Un peu plus tassée en avant, les cheveux blancs coupés au cordeau. Le jardin aussi fastueux de couleurs, de mélanges, d’assurance des arceaux et des massifs. Bien qu’elle prétende ne plus lui accorder autant de soins, le jardin comme elle a de beaux restes. L’expression est inconvenante. Il et Elle ne « restent » pas, ne sont pas « en reste ». Ils demeurent, là, présents, vivants … Elle a laissé tomber la superbe d’institutrice sûre de ses principes. Elle n’est plus qu’une petite fille qui s’éblouit de son jardin, de sa longévité, des surprises qu’il lui procure encore : cet arbuste à fleurs dont elle ne sait le nom, qu’elle n’a jamais vu, est venu s’implanter tout seul porté par le vent. Et précisément dans le fond du jardin pour qu’elle vienne l’admirer chaque jour en quelques pas supplémentaires, qu’elle le désigne, ravie, aux visiteurs …

Dans mon rêve je longeais une chambre d’hôpital donnant sur un espace privé, le mien, où j’avais réalisé un grand tableau d’un personnage en blanc et noir couvert de signes. J’hésitais à entrer dans la chambre. La vieille dame, mère d’une amie, ne me connaissait pas. Sans doute avais-je peur aussi de cette agonie. Je l’ai aperçue qui lisait, la tête sur l’oreiller, livre tendu à ras des yeux. Rassurée, je suis repassé en sens inverse devant la porte ouverte. La vieille dame avait redressé le buste. Une femme était à ses pieds, sa fille qui courbait la tête et je savais qu’elle pleurait. La mourante caressait ses cheveux.
J’ai gardé au réveil le plus longtemps possible la douceur de ce tableau. Qui était cette mourante ? Moi, en projection ?

Comme chaque année je vais voir ma maîtresse d’école qui m’a appris à lire. J’ai dit à Anna, comme chaque année, que j’aimerais atteindre, dans les mêmes conditions qu’elle-même, le grand âge. Comme chaque année elle m’a répondu qu’elle me le souhaitait. Nos deux visages très proches, nos mains emmêlées, nos yeux dans les yeux, notre baiser : tout dans le bonheur et le calme du rêve.
Sottement je lui ai dit que je viendrai lui montrer les photos. Elle est presque aveugle. Je vais pourtant essayer d’en tirer une, agrandie, de son cher bignonia qu’elle pourra mettre juste sous son nez. Mais Anna ne vit plus par photos ou textes interposés. Elle respire en direct de la respiration des plantes.

Ce matin un bouvreuil est venu picorer les haricots qui lèvent. Encore un qui n’a pas besoin de photo pour s’envoler.

24 juillet 2005

blé et récolte

Moment des moissons : j’ai eu le privilège de monter sur la moissonneuse-batteuse ( 4,5 m de coupe) dans le soir tombant, nuage de pousssière, les photos sont ratées. Mais émotion de voir du haut de la cabine le rouleau coucher les tiges.
Le blé est revenu dans nos campagnes, à cause de la sécheresse il est préféré au maïs. Espèces améliorées, basses sur tige.
Tout a changé, la taille des champs, la race de blé, la manière de faucher.
J’ai retrouvé l’odeur du blé battu.
pour David, cet extrait de « COURTEPOINTE » paru en 2003

VOiCI QUE LE SEMEUR EST SORTI SEMER

le temps n'est plus au blé
ni même au soja ni même au maïs
ni même au sarrasin nouveau
le temps est au mélange
à la substitution des essences
et les labours
n'ont plus que multi-socs pour la puissance
le pain se cuit tout seul se dore en usine
le levain ne se prête plus à la voisine
le sol s'engorge
les eaux sentent

pourtant nous gardons
ardentes boulangères
toi le four de ta mère
moi le pétrin
la maie où Dieu mon Père
cognait chaque dimanche sa force et sa confiance
toutes deux
les mots blonds les mots mûrs les paroles
l'exercice têtu quotidien.

voici que le semeur est sorti chercher
comme au musée comme à l'école
dans nos jardins
et j'ai idée que nos oreilles
de versoirs peuvent encore servir

ENTENDE QUI VOUDRA LES PRENDRE POUR SEMER.

23 juillet 2005

NOCE AU VILLAGE

LA NOCE AU VILLAGE

Pour une belle noce, ce fut une belle noce. Une noce comme on n’en voit plus. Une noce à l’ancienne avec toute la sono à fond des modernismes actuels.
Nous y sommes allés nous aussi, à fond, à fond la caisse, à fond le cœur. On y croyait et on voulait y croire. Nous tous, les jeunes chatons et les vieux matous, les vieilles mires. Quatre générations pour la noce, sans discrimination. Depuis les bébés dans le ventre de leurs mères (grâce à l’écographie on sait déjà que ce sera des filles !) jusqu’aux grands-parents octogénaires.
Dire qu’on n’en fait plus ou qu’on n’en fera plus de noce comme celle-ci c’est un peu exagéré je vous l’accorde ! Mais comprenez-moi : je faisais partie de la noce. J’ai accepté l’invitation aussitôt. J’ai retourné le petit carton chat-leureusement. Oui ! Les futurs mariés s’étaient placés sous le signe du chat perché ou chat niché. Ils adorent les chats, ils en ont deux, ils en sont gagas. Ils savent tout des races de chats. Ils n’en sont plus comme nous à ne s’occuper que de chats de gouttière. Non ! Il leur faut des chats de race en appartement, vaccinés, pédigree et tout et tout … canigou : des persans, des pékinois … Attendez ! je vais retrouver la liste qui servait à dénommer les tables pour qu’on s’y retrouve au repas …


miaou
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cats


Les cornets de dragées étaient liés à deux chatons de faïence. Miaou Miaou partout. C’était mignon. Les plus ronchons d’entre nous se disaient intérieurement que c’était un peu cucu la praline, mais on leur passait aisément cette gaminerie de dernière minute à ces deux-là qui convolaient avec tant d’application. Les pauvres allaient entrer dans le clan des grands, des sérieux, des parents, on le leur a assez répété pendant toute la cérémonie ! et ils avaient bien le droit de s’amuser gentiment encore une journée dans la cour des petits rigolos.

Une belle noce ça commence lentement, avec un peu de retard. Depuis deux jours on s’y prépare. On a gonflé les ballons, on a décoré la salle de restau. Les voitures sont garnies de rubans blancs. Le photographe officiel est à pied d’oeuvre sur la Place du village. Il attend. Il a l’habitude. Toutes les belles mariées se font attendre. Elles ne veulent pas se prendre les pieds dans la traîne. Elles veulent surtout être attendues avec patience. Elles vont finir par arriver. C’est prévu. Ce serait bien étonnant qu’avec tous ces préparatifs la noce n’ait pas lieu. Elles font monter la pression de l’attente pour que le Oh ! qui sortira des poitrines quand on leur ouvrira la portière afin qu’elles descendent de carrosse soit juste à point, juste à hauteur de l’admiration et du bonheur d’être là pour admirer.


noce-1
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Une belle noce ce n’est pas un jeu et si j’ai l’air d’en parler en plaisantant je vous assure que j’y suis allée de bon cœur, que j’y suis restée de bon cœur et que j’en écris de bon cœur. Une belle noce ça vous rajeunit, ça vous fait du bien partout : aux souvenirs, à l’espérance, aux yeux et à l’âme. Une belle- noce- comme- Autrefois a souvent des conséquences en chaîne : des rapprochements familiaux, des amitiés naissantes de familles à familles, voire de nouveaux mariages ou concubinages. Une belle noce c’est comme un jardin, ça n’en finit plus de marcotter ou de repiquer. Pour moi je sens bien que cette noce n’a pas fini de me travailler au corps. Et comme chez moi le corps, vous l’avez deviné, se nourrit de mots d’écriture je vous renverrai au poème de conclusion qui a éclos pas plus tard qu’hier, 20 juillet, soit quatre jours après la noce. J’y ai passé quasiment la journée sur le poème ! car s’il était venu très spontanément en arrosant le jardin, il m’a fallu plusieurs heures de mise en valeur picturale. Jugez-en :
1 J’écris le poème en papier avec un crayon à papier sur du papier bible. Hop ! c’est fait sans ratures, sans remords
2
Je retrouve ce rouleau de papier de Chine et ce gros pinceau chinois. Je les marie avec des encres de couleurs, je l’allonge sur la grande table sous le hangar. J’ai réservé avec des caches en papier d’Europe des espaces blancs pour l’écriture. Le soleil sèche rapidement la banderole. J’agrandis, je colle, trois mètres cinquante de support fragile, à manipuler avec précaution.
3
Je recopie le texte en beaux caractères comme le mien, je n’y change presque rien. Tout va bien. Je n’ai pas mal au dos, je n’ai pas mal aux yeux, je crois même que j’ai des ailes qui poussent comme il est dit dans le poème. Je mange avec appétit quand c’est l’heure de manger. Je continue, chemin faisant, à remplir les arrosoirs, à demander au piano les accords pour la new-song et à suivre le feuilleton des Feux de l’amour en buvant mon ersatz de café cérécof

4 Je découpe, j’utilise la guirlande « Vive les mariés » de la voiture pour suspendre le chef d’œuvre. Enfin je l’emballe. Et voilà le travail : livraison aux mariés le soir même à l’église où nous récupérons les décorations de bancs, les petits cœurs en papier … et un étui à lunettes oublié qui n’est pas le mien !
Si j’en ai à peu près fini avec mon histoire, l’autre, celle des deux seniors qui se rencontrèrent à la noce ne fera que commencer demain

21 juillet 2005

pleine lune bis

La lune boit

La lune buvait hier au soir quand je l’ai remarquée de la voiture d’où je roulais vers elle : belle, ronde, superbe pleine lune d’une nuit de Mars, puis de la terrasse de chez P. avant de rentrer à La Loue, puis de la lucarne à clore d’un volet avant de me coucher.
Lune lyonnaise, saint victorienne, boucharante ; nuit de dimanche à lundi … lundi … lunes … Jour de la lune si je ne m’abuse …
Pour la première fois peut-être (j’adore toutes les premières fois), pour la première fois lunaire, voici que j’ai mis les goûts alcoolisés de la lune au passé, à l’imparfait du passé alors que, parfaitement ronde, elle buvait un halo d’enchantement drapé autour d’elle. Jamais que je sache, auparavant, j’avais écrit, pensé, dit que la lune BUVAIT. « La lune boit » oui ! Que de fois entendu sur le seuil de la porte quand Papa sort pisser avant de se coucher, quand Maman rentre de l’écurie avec les deux seaux de lait à la main. « La lune boit » pas une constatation esthétique, une prévision météorologique, « la louna bae, é vo plouvre deman » (la lune boit il va pleuvoir demain)
La lune buvait donc hier au soir et cependant le soleil se décide ce matin à percer. A croire que le breuvage n’était que de la piquette du coteau à vignes de Buvin plutôt qu’un wisky à gogo … car la lune, c’est sûr, s’est mise à l’heure américaine des excès et contrôle-qualité. Elle boit POUR … ou elle ne boit pas … lune informatisée.
Bref ! La lune boit. Elle continue de boire au présent pour moi. Elle continue ses plaisanteries d’un autre âge sur le coteau des désirs inassouvis.
La lune trinque avec moi.

Je bois mon thé tout en rêvant avec la lune empaquetée en mots sans halo. Un tracteur passe. C’est Lundi. Il faudrait que je retourne le jardin si je veux que les bienfaits de la lune nourricière l’arrose de futures récoltes …
Cependant mes yeux ce matin, à l’abri des sollicitations extérieures, derrière le volet encore fermé et le bol de thé qui refroidit, sont allés se promener du côté de ce Lafcadio Hearn et de ses « Rêveries exotiques ». J’adore ses fluidités d’écriture, ses halos entre Est et Ouest autour des exotismes philosophiques et religieux. Je bénis le hasard qui m’a fait dénicher ce livre chez un bouquiniste. Même si j’avais quelques réticences à me couler dans tous ces rapprochements de mots et de sens, je prends, à son contact, ce réflexe que je connais bien avec chaque écrivain qui m’appelle à écrire, qui m’appelle à moi à travers lui. J’aime me sentir écrire en lisant. Une absorption volontaire et douce, comme la contemplation du halo et de la lune elle-même. Aussi ai-je quitté le livre, l’ai glissé sous le coude, le reprends à nouveau, découvrant sans peine, à la page 149, une lumière propice à mon papier.
« Lune solitaire autour du Pic Neigeux, dans la demeure de La Lumière Tranquille »
Hearn a lui-même retranscris cette épitaphe japonaise, destinée à un homme, tant il semblerait que de l’autre côté de la lune, la lune ne soit plus un symbole exclusivement féminin.
« Lumière tranquille » Quel joli nom à donner à une fille … ou un garçon ! Quelle aide il lui apporterait dans ces villes éclatantes la nuit où on ne relève plus le nez pour lire le temps du lendemain, où on se le casse, le nez, par terre, sur des trottoirs sans rêves et sans halo.
Lumière Tranquille – Lune douce – Pleine Lune – Croissant de lune : autant de possibilités qui ont sans doute été utilisées dans d’autres langues que la nôtre … Nous, nos audaces langagières se limitaient à appeler « lune » nos fesses ! « Fais voir ta lune ! » pour nous laver ou nous essuyer la face cachée, et pour accentuer le contact avec la belle surface lisse, ronde, pleine. La « lulune » pour les filles parlait de l’endroit secret et les garçons portaient, eux, une « belune », cet adventice avantageux que nous trouvions si disgracieux et que nous n’osions nommer de son nom.

Oh Lune ! Lune d’hier et d’aujourd’hui, lune ivrogne ou lune sobre, je cours, maintenant que je t’ai tout dit, rejoindre un morceau de soleil pour le mettre dans ma poche. Libélune ! Je cours me jeter un canon de jour derrière la cravate !

20 juillet 2005

noce au village

« Ils vont se marier ! »
la pluie dit au soleil
et le soleil bien sûr
aimable et fraternel
a éclairé l’azur
Et le soleil brilla
comme brillent les yeux
quand l’amour s’y dessine

Elle mit la robe blanche
la longue robe à traîne
pour caresser le sol
y poser quatre pieds
comme pour une chaise
Alors, assis tous deux,
au moment de dire Oui
à l’invite du maire
ils ont levé les yeux
Et le soleil bien sûr
à la mairie entra …
Et le soleil dit Oui !
Oui aux jours brumeux
et oui à la lumière.

Les familles assemblées
avaient tout entendu
« Ils ont dit Oui » dirent-elles
en leur for intérieur
Nous sommes si heureux
Ils se sont mariés
Mon Dieu quel bonheur !
Ils ont osé le faire
Ils ont osé leurs vœux
En voilà deux qui s’aiment
qui croient à l’avenir
et qui croient au présent.
Dans la force du rêve
ils bâtissent un empire »

Dans l’église bien pleine
ils se sont retrouvés
à nouveau dans leurs yeux
corps à corps, cœur à cœur
très contents de l’aubaine
de dire deux fois oui
à la face de Dieu
Et le Bon Dieu qui aime
qu’on s’aime devant lui
promptement a dit Oui
pour ne pas qu’ils s’échappent
a parlé des enfants
a parlé de tendresse
a parlé de l’eau vive
et a parlé du feu ;
« Lève-toi mon ami !
Viens t’en ma toute belle
Laisse faire la vie
Aie confiance en vos ailes
C’est ici que commence
un chapitre à renaître
Le royaume des cieux »

Puis ils s’en sont allés
sans leur père et leur mère
pour leur tenir le bras
Les yeux au fond des yeux
Coeurs à fleur de soleil

19 juillet 2005

19 juillet jardin

Ce matin, chère amie,

Drôle de papier dont je viens de retrouver une ramette. Très fin, papier avion, très doux au toucher, papier baiser.
Est-ce ce qu’on appelle du papier-pelure ? Mais pelure de quoi ? D’oignon, d’échalotte ou d’ail ? en tout cas fine pelure, pas pelure de pommes-de-terre. Pelure de bon temps à prendre avec toi. Bon toucher du matin calme.

Toucher. Retrouvé également dans le même placard une revue sur le thème d’un colloque à Montpellier en 1992. Je relis. J’ai tout oublié ou presque. Couplet habituel de l’écrivain qui refuse l’ordinateur ( j’en ai entendu un récemment à France-Inter) L’ordinateur qui prive de ratures, de froissé, de rage et de jouissances de toucher. Ce matin cette pelure d’oignon à ma préférence pour te toucher à distance. Pelure : caresse d’écriture. Papier : lettre à tendresse rapprochée. Ecriture à la main : pelure des mots protégeant la chair tendre.

Le jardin respire. Il a eu une sa ration d’eau cette nuit et hier. Juste en surface. Une caresse d’eau. Il en faudrait d’autres pour le pénétrer. En particulier pour ce que j’ai replanté il y une huitaine de jours : de minuscules gousses d’ail que j’avais récupérées sur la plante l’année dernière. C’était la première fois que je constatais que l’ail en tige qui fleurit reproduit ( en miniature) la même gousse que celle en terre. Une sorte de boule de ping-pong constituée d’une vingtaine de petits croissants de la grosseur d’un petit petit- pois. Et donc j’ai tenté l’aventure de les mettre en terre. Ce qui en bonne logique devrait me valoir une soixantaine de rejetons, peut-être cent, je n’ai pas compté. J’aime bien assister au cycle complet, du préambule à la conclusion, et que ce cycle passe par mes mains … je te tiendrais au courant à l’automne de l’expérience.

Les hortensias eux aussi sont ragaillardis. Ils pètent de santé contre le mur bas qui sépare la cour du jardin. T’en souviens-tu ? Mur moussu, couronné par ma collection de cailloux, également moussus pour certains. Le mur est là depuis plusieurs générations et je l’ai trouvé tel quel en rachetant La Loue mais les pierres du dessus je les ai posées pour me raconter mes anciennes promenades. La plus belle (des pierres, peut-être des promenades ! ) est rose et blanche, incrustée d’éclats scintillants. C’est mon fils qui l’avait charriée malgré sa taille et son poids jusqu’à la maison de location dans les Cévennes. Elle continue à me parler du courage et de l’attention de mon garçon adolescent.

Comment nourrir la confiance en la pluie ? « Il y toujours quelque chose qui fleurit et quelque chose qui se fane. Quel dommage, ma charmante beauté ( c’est des fleurs que je parle) quel dommage que le temps coule ! La beauté passe ; seul le jardinier demeure. Pour le jardinier l’automne commence en Mars lorsque se fane le premier perce-neige » Karel Capel (l’année du jardinier)
Encore des retrouvailles avec la pièce du fond et ses collections de mots et de papier. Je songe à reprendre « Le jardin de Danielle », textes et chansons pour cet hiver.

Une limace vient de s’aventurer sur le seuil pour me rappeler qu’un lendemain de pluie il y a autre chose à faire que d’écrire ou chanter, même des chansons jardinières. La malheureuse vient de payer d’un coup de pioche son avertissement. Je prends mes sabots et je file au jardin.

Retour. Touché la pioche, le râteau. Désherbé un peu partout. Entre les courges, courgettes (elles commencent à donner) Planté. Semé. Haricots, doucette. Tué quelques limaces. Mais la pioche découvre sous un demi-centimètre la terre sèche. C’est bien ce que je craignais. La pluie malgré l’orchestre du tonnerre tout autour n’a guère été efficace. Enfin c’est mieux que rien ! J’ai ramassé une poignée de petits pois et une de haricots, une tomate, la première ! Ton jardin du Sud doit être plus en avance que le mien.

Hernandez conclut abruptement sa conférence « L’ordinateur, c’est la défaite du Sud que j’aime tant ! » tandis que, tout en douceur, Capek le jardinier confie au jardin « Chaque année apporte davantage de croissance et de beauté. Dieu soit loué, nous aurons bientôt un an de plus. » Est-ce d’être à la fois jardinière du Sud sans ordinateur que tu m’envoies toujours tant de sujets d’espérance ?

16 juillet 2005

carte trouvée 16-7

J4
Il est gris, terne, éteint, vide. Il le sait. Il le sent.
Mais ça va changer. Il veut que ça change. Il ne sait pas comment. Il veut.
Plus de direction au hasard. Plus de plante verte pour se cacher.
Demain, aujourd’hui même. Et d’abord se rendre à la grande pharmacie centrale, là où il a acheté les verres doseurs et la pipette, il demandera conseil pour mal qui cuit le coin des lèvres et qui empêche les mots de passer.

Nady a une soixantaine florissante. Elle aime toutes les fleurs, en pots, en jardinière, en bouquets, dans les prés et sur les talus. Même séchées. Elle aime les fleurs tout court. Elle les adore.
Des fleurs elle en a plein avec elle, tout le temps : en cartes postales, en projets, dans des sachets de graines. Depuis peu en aquarelle. Parfaitement ! Elle peint les fleurs.
Ici, à Allevard elle est gâtée avec elles. Quand d’autres font la sieste elle s’installe dans sa chambre devant le bouquet du jour oh ! un petit bouquet dans le verre à dents et elle attrape les fleurs par leurs couleurs. Elle les pose à plat sur la table, ses yeux naviguent du vertical à l’horizontal en s’efforçant de garder la chaleur que les couleurs lui renvoient. La forme importe moins que la couleur. La forme n’est pas très difficile à saisir : un ovale un pétale, un trait une étamine, un rond un cœur.
Les bouquets elle les collectionne ainsi dans son album quand il sont fanés. Elle n’a pas encore osé les montrer. Elle se demande parfois si ce n’est pas pêcher d’accorder tant d’importance à de simples fleurs des champs. Les fleurs ne demandent rien, n’ont besoin de rien. Même pas d’elle. La découverte merveilleuse cette année est de se sentir si bien dans ce tête à tête silencieux avce les fleurs.
Elle se dit, qu’après tout, c’est aussi prier le Bon Dieu que de rien dire en recevant des fleurs cette pitchenaude de couleur, là entre les deux yeux. Comme le baume du tigre quand elle a mal à la tête. Ça lui arrive de temps en temps.
Elle ne se dit pas expressément tout cela. Nady n’a pas de longs questionnements de conscience. Un fonctionnement bien rôdé, ponctuel qui lui assure tous les jours que Dieu fait un pas rapide (mais non pressé), une parole rapide (mais non volubile), un appétit immédiat devant
l’assiette servie ( mais non une goinfrerie déplacée)
Nady est placée, bien placée pour le savoir : la vie est une chance. Elle honore cette chance chaque jour en ne gaspillant rien à tort et à travers. Chaque rencontre même fugitive, chaque trouvaille même cochonne …
Elle parle aux morts, à ses parents, à son petit frère qu’elle n’a pas connu, à Paul son mari français qui ne lui a jamais reproché son accent espagnol au contraire, qui en était fier. Paul lui a laissé en Picardie une petite maison avec un petit balcon, un petit jardin facile d’entretien. S’ils avaient eu des enfants elle aurait été trop petite mais Dieu ne l’a pas voulu …
Elle dit seulement Merci au Seigneur chaque matin et plusieurs fois dans la journée. Elle n’a rien à lui demander. Tout ce qu’il lui donne est pain bénit. Chaque rencontre même fugitive, chaque trouvaille même un peu cochonne. Elle ne sollicite sa protection que pour les autres. La vieille dame si jeune d’esprit qui sait très bien tenir la pipette maintenant sans s’étouffer. L’encore jeune homme déjà vieux et déchiré aux coins des lèvres. Les deux pauvres ballots de la carte qui pourraient tout de même la mettre sous enveloppe et l’envoyer eux-mêmes !
Elle ne demande rien pour Emilienne. Emilienne a quatre-vingt six ans. Dieu fasse que j’arrive à cet âge en aussi bonne forme qu’Emilienne ! Elle se passionne pour gagner et Dame ! quand je suis un peu distraite, ce que je veux bien être pour lui faire plaisir, elle se réjouit si fort de mes incompétences en français. Elle se précipite pour m’en donner la preuve sur son dictionnaire électronique qu’elle manipule malgré ses doigts enflés avec une surprenante dextérité.
Son accent que quarante-deux ans cette année de séjour en France lui a laissé, Nady l’aime aussi ; elle ne sait pas si elle le garde par une coquetterie muy maravillosa, par défaut congénital des cordes vocales, ou par cadeau de Dieu comme tout le reste. Grâce à lui, grâce à ces roucoulades de fond de gorge, Paul est allé jusqu’à l’épouser. Et pourtant ce n’était pas facile avec la maman qu’il avait ! Son petit nom de Nady c’est lui aussi qui le lui a laissé en partant. A la pension Notre-Dame tout le monde la connaît sous ce prénom et la salue aimablement. Le prononcer c’est comme si on recevait un rayon de soleil. Personne ne s’en prive.
On l’aime bien. Elle le sait. Elle le sent. Demain elle ira marcher avec le groupe de 15 heures. Au menu : Au dessus d’Allevard. Il n’y a pas besoin de s’inscrire. Devant l’office à 15 heures. Entendu ! Elle y sera. Elle a envie d’une compagnie un peu différente de celle de la pension Notre-dame. Un peu plus masculine peut-être. Elle a envie de pas un peu dirigés, commentés. En plus c’est gratuit !
Elle n’est pas de ces bigotes vieilles qui arrivent à Jésus quand elles n’ont plus aucune chance de Pierre, Jean, Etienne, Marcel ….

J5
Il était en avance devant l’Office du Tourisme. Très en avance. Il avait pris un bâton pour la ballade : une canne de berger achetée au magasin de souvenirs. Ce n’est pas qu’il ait besoin de s’appuyer sur quoi que ce soit, ni qui que ce soit, d’ailleurs il a toujours été solide sur ses jambes, pas comme ces vieux, mais une canne ouvragée, on ne sait jamais, ça peut servir. Et puis il avait envie de marquer le coup !
Le guide est arrivé à moins deux. Un jeune. Il l’a déjà vu. Il a l’air sympa mais ne nous y fions pas ! Il y a aussi deux couples, trois femmes copines entre elles qui jacassent déjà. Bon ! dit le guide, on va attendre cinq minutes.
A Trois heures pile, elle est arrivée. En jupe courte, au-dessus du genou, comme d’habitude. Elle au moins ne se déguise pas en sportive pour une petite ballade de rien du tout, au dessus d’Allevard. Puis un homme avec un chien. Allons bon ! Si les chiens sont autorisés maintenant !

En route !
On prend la petite route à gauche de la gendarmerie qui monte vers la tour du Treuil . Le guide marche à reculons pour leur parler, leur expliquer. De temps en temps on s’arrête à l’ombre. Il raconte. Lui n’écoute pas tellement. Elle l’a salué comme une vieille connaissance. Elle a même dit « Vous allez bien ? » Il a dit oui, mais n’a pas su quoi répondre. Elle marche sur les talons du guide, enfin ! plutôt sur les pointes de pieds puisque le guide est toujours tourné vers eux. ça doit le fatiguer à la fin mais non ! il a l’habitude. Il dit qu’il a l’habitude. Il est aussi guide en hiver, moniteur. Il parle bien mais il écoute aussi. Elle pose plein de questions. Elle a l’air de s’y connaître en plantes. Elle pose même des colles au guide. Ils rient. De temps en temps elle ramasse une fleur. Oui celle-ci, les campanules, les géraniums sauvages, on peut les ramasser. Elle fait admirer les fleurs des jardins « oh ! regardez ! » une fois c’est des pivoines, une fois c’est des roses … Il faut dire qu’il y en a partout même en s’éloignant du village vers les hameaux.
Lui marche un peu en arrière, pas trop pour ne pas les perdre. Il aimerait avoir un de ces petits appareils-photos modernes. Ça a l’air très facile. Un des vieux fait sans arrêt clic dès que sa femme lui signale ce qu’il faut photographier « Oh regarde le Gleyzin ! Prends la photo ! » le temps qu’il s’installe pour prendre la photo, et il prend son temps pour ça oui il prend bien son temps, « Attends ! je mets le zoom ! »la femme se tourne vers autre chose, n’importe quoi et recommence « oh regarde ! un papillon ! allez ! Mets le zoom ! » Ils commencent à nous embêter ces deux-là. Mais elle, elle est toujours patiente ! Elle dit « Vous avez vu l’orchis blanche ! « Attention, espèce protégée » dit le guide « mais bien sûr, je le sais ! » Petit à petit le bouquet grossit dans sa main. Il a toujours trouvé ridicule de ramasser des fleurs qui seront tout de suite fanée en arrivant. Mais elle a tout prévu. Elle emmaillotte un chiffon mouillé autour des queues pour les maintenir fraîches.
- Vous voulez que je les tienne ?
Pour attraper les digitales roses il faut qu’elle grimpe un peu. Elle accepte volontiers. Puis elle trébuche sur une vieille souche et il la rattrape à temps. Le groupe s’est un peu éloigné. On ne les voit plus. Il pose le bouquet, la canne. Il ose masser la cheville. Elle s’est tordu la cheville. Vous vous y connaissez en secourisme ? Elle a vraiment mal. Il dit oui. C’est pas vrai. Il voudrait qu’elle soit piquée par une vipère. Il sucerait le sang vicié. Il ferait un garrot avec son mouchoir. Elle accepte de marcher doucement en s’appuyant sur son bras. De l’autre côté il tient le bouquet et la canne il la lui a passée pour qu’elle s’y appuie.
Bon ! Le groupe s’est aperçu qu’ils traînaient. Le guide suggère de faire demi-tour mais elle refuse. Pas du tout ! Continuez seuls. Je vais rentrer et si Monsieur veut bien m’aider …

Je m’appelle Nady.
Je m’appelle Bernard
Vous en êtes où de la cure ?
C’est ma deuxième semaine
A moi aussi.

Le reste ne nous regarde pas. Il la raccompagne à la pension de famille. Elle lui offre d’entrer prendre un verre. Il veut bien. En bas, au milieu des fleurs, ils boivent lentement. Elle a mis une bande Velpeau autour sa cheville. Elle en avit une dans sa valise. Elle dit qu’elle a l’habitude. C’est une faiblesse depuis qu’elle est gosse. Chaque fois que tout marche bien, qu’elle est heureuse, clac ! elle se pète la cheville ! Ce soir elle prendra un bain de pieds avec du sel.

Personne ne pense plus à une vulgaire carte postale. Ils ont bien autre chose à faire. Ils se regardent. Ils se parlent.

Imaginons

Que la bêtise casse son nez de fouine sur le portail de la pension Notre-Dame.

Qu’entre une cheville fragilisée qui se luxe facilement, une bouche amère et meurtrie d’impétigo, il y ait de mystérieux canaux d’évacuation de la souffrance

Que deux organismes certes vieillissants l’un et l’autre, conditionnés par une cure thermale de régénération dans un décor montagnard superbe début Juin et florissant de tous ses jardins et talus, se ragaillardissent mutuellement.

Que cette bigote de Nady mais suffisamment intelligente pour ne pas en rajouter éprouve un penchant certain pour un corps affaissé mais plutôt svelte et beau d’origine

Que cet introverti à 90 o/o de Bernard découvre qu’à vingt ans il avait été amoureux d’une petite boulotte aux mollets fermes et à la parole vive dont il vient de trouver la réplique

Que la carte postale perdue dans le parc des Thermes à Allevard les Bains (Savoie) le 28 mai 2005 ne soit pas tombée sous leurs yeux par hasard. Que son contenu bêtement porno ait été le révélateur érotique qui remit en branle, c’est le cas de le dire, des désirs ensevelis sous plusieurs couches mais encore vivants

Que les prières, quel que soit le dieu qui les inspire, ne tombent pas forcément dans l’oreille d’un sourd

Et nous aurons une fin tout-à-fait banale mais plausible.

Une petite maison dans le Nord, dotée désormais d’un jardinier.
Des aquarelles qui osent s’exposer sur les murs.

La vie, quoi ! pas la télé, ni la consigne de la gare.

14 juillet 2005

14 JUILLET

fête nationale : je repars en campagne. Mais aujourd'hui jour chômé : il n'y a que les monuments historiques qui travaillent. c'est pourquoi je vous propose l'hymne national suivant tous en coeur ! 1-2-3

D’avoir vécu
Le cul dans l’herbe tendre
Et d’avoir su m’étendre
Quand j’étais amoureux

J’aurais vécu
Obscur et sans esclandre
En gardant le cœur tendre
Le long des jours heureux

Pour se faire de vieux os
Faut y aller mollo
Pas abuser de rien
Pour aller loin

Pas se casser le cul
Savoir se fendre
De quelques baisers tendres
Sous un coin de ciel bleu

Serge Gainsbourg
( interprêté par ENTRE DEUX CAISSES vocal 26@wanadoo.Fr, c’est génial ! )

03 juillet 2005

sète-soir III-2-7

BRINS DE RUE

Américaines sur le pont de la Savonnerie . La mère et la fille, la fille parle français ; je leur propose de les prendre ensemble dans leur appareil et pour le même prix dans le mien.

Rue Jean Marie Barrat 1924-1945, mort en déportation. Ancienne rue du Marteau.
On aperçoit le Poulpe sculpté sur La Placette rebaptisée Place Pierre Brossolette. L’histoire donne aux rues des noms de mémoire douloureuse. Le soleil aujourd’hui comme hier essaie de tout effacer.

Catherine et les arrosoirs de la rue Louis Blanc


Ils sont pendus, grappe colorée, au premier étage sur le balcon du 19. Ils pendent, allègres, dans la rue. Je les avais déjà remarqués et barbouillés à l’aquarelle. Je suis en train de les photographier quand une pimpante quinquagénaire ( de loin je ne vois que la jupe rouge) descend la rue en face de moi. Arrivée à mon niveau elle me sourit largement et nous entamons la conversation.
Elle s’appelle Catherine
Elle habite rue Pascal, à côté, depuis toujours. Elle soigne ses vieux parents tant que le Bon Dieu les lui laisse mais elle quittera Sète quand le Bon Dieu les rappellera. C’est trop triste Sète maintenant.
Plus de chaises sur le trottoir où on s’installe pour discuter. Plus de fête de quartier *avec les lanternes aux balcons, les interpellations d’une fenêtre à l’autre. Personne les dimanches l’hiver dans les rues.
Catherine pose volontiers pour une photo en pied comme les Américaines. Sauf que son sourire a l’accent d’ici. Qui prétend dans le journal que les Sètois ne sont pas aimables ? Ils sont ravis de faire connaissance et qu’on leur parle d’eux et de leur ville.
Il faut dire que je les choisis bien mes Sètois de Sète. Rue Maurice Clavel je croise un amusant équipage : une table posée sur un chariot de supermarché, convoyé par un homme, une femme. Je fais signe. Ils s’arrêtent pour la photo, en même temps reprennent l’équilibre branlant et la femme me confie aussitôt à quel point on est gentil à Sète, tenez ! Ce monsieur ( il a un accent maghrébin) lui a donné spontanément aide et assistance pour charrier la table !

Quel heureux hasard ! Le 19 de la rue Louis Blanc, l’unique maison à bouquet d’arrosoirs, est celle où a habité Marcelle avec ses parents. C’est dans cette même rue que vivait la famille de Pierre-Jean Vaillard ( qui se souvient du chansonnier du Grenier de Montmartre? )
Quand j’y retourne pour d’autres photos je tombe à nouveau sur Catherine donnant la main à un beau Sétois. J’espère pour elle qu’elle l’emmènera avec elle s’implanter dans l’Aveyron. Hé ! Pas si triste que ça Sète !
J’ai maintenant une copine de plus à Sète et son adresse complète.

Du Georges parlons-en ! ( Brassens bien entendu) Il se ballade en effigie sur la voiture des « Amis de Georges » spectacle et restauration tous le soirs. Il tapisse les éventaires des magasins : photos, caricatures, portraits. Il donne son nom à une salle de spectacle, à la rue elle-même. Il sourirait de pareille utilisation marchande de ses talents, retirerait peut-être la pipe de sa bouche pour ironiser
« Quand on est con, on est con … »


SETE-photos66
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Le monsieur qui fait la pause au croisement de la rue Louis Blanc et de la rue Haute
C’est que ça monte !
Mais non je ne l’importune pas ! Il reprend son souffle.
Oh pas plus triste qu’ailleurs Sète ! Maintenant plus rien n’est pareil partout.
Sète c’était les ouvriers. Maintenant les sports d’hiver, plus de sous pour trois semaines de vacances ! ça baisse ça baisse le tourisme ! plus d’Américains !
Et pourtant j’en ai vu deux sur le pont !
Oh oui un ou deux ! la dame qui trouve triste Sète, elle a peut être des ennuis avec la famille.


La tête contre le mur. « C’est une pierre qu’ils ont taillée. Ça va vous faire une photo de plus. »
D’où vient-elle cette tête sculptée ? La banalité du mur de l’immeuble ne la justifie pas. Récupération d’un édifice disparu ? Imitation ? La tête m’intrigue. J’aimerais la faire parler.


Et les gabians, les gabians, les gabians

Ricanent rue Romain Rolland
Ont repéré que les gens au courant
Courent de plus en plus vite et n’ont jamais le temps
S’essoufflent pour un rien
Trouvent triste la ville
Ne font même plus d’efforts
Pour se tenir tranquilles

Les gabians coassent et croassent
Ne font la différence
Entre pain et fougasse
Mais savent bien trier
Sardines et mulets …

Les gabians
A force de tourner
Sur les toits des télés
Gabiantent, gabiachent, gabiardent …

Les joutes
Comment peut-on quitter Sète sans avoir applaudi les jouteurs ? La saison commence. Ceux-là sont les pitchounes, les ados. Tombent à l’eau ou se maintiennent sur la tantaine. Le galoubet n’est plus en direct d’une bouche musicale mais pré-enregistré. Sur les gradins près de la Criée aux poissons les spectateurs sont les copains, les mères, les sœurs … et deux passants qui n’ont pas oublié leurs appareils-photos. Retransmission légèrement différée pour cause d’incompétence mais que les lecteurs occasionnels de ce journal se rassurent ! Un jour viendra …



« un beau jour ou peut-être une nuit … »

La Saint-Louis C’est le 25 Août la fête patronale de Sète. « Avec mon frère et mon père on prenait les lanternes vénitiennes. On emportait une couverture . On mettait la couverture par terre à la Citadelle, là où il y a le phare tournant et on attendait le feu d’artifice » (Marcelle, 92 ans)

sète-matin III-2-7

Cris des gabians :

Une troupe de vieilles cancanant, ricanant
Un troupeau d’oies du Capitole traversant le parking sus à l’intrus
Une meute de chiens attaquant en rase motte le cerf blessé
Des bébés à la crèche sans mère ni nourrice

Un seul, tout près de mes oreilles, qui implore pardon ou se moque de moi et de mon mal de mots au petit matin

Lignes veuves et orphelines

est capable de repérer l’ordinateur
Pauvres lignes ! Que d’abandons successifs ! Lignes de fond de nuit sans crayon ni papier, de fond de mémoire sans goût pour la justification des peines !
Comme le chien de Jean Nivelle qui s’en va quand on l’appelle, lignes informelles, lignes avortées
Et parfois belles lignes, dignes en leurs voiles de deuil, qui ne font que passer discrètement, sans s’arrêter, mais abreuvent une soif, pleurent une misère.

Le vent

Comme les gabians, se déchaîne, se calme, joue à l’orchestre symphonique au dehors au point d’arrêter la conversation au dedans, secoue en colère les volets, caresse doucement le dos des vagues pour les faire éclabousser de rires, s’insinue mine de rien, s’impose, disparaît. Il s’appelle ici « Le gregaö (le grec), le labetche, le vent de l’étang, le vent de la mer ». Ainsi que les poissons du même nom il n’a pas le même goût paraît-il selon son origine mais je ne sais jamais le reconnaître.
Il est le vent qui s’en va tout seul titiller mes sinus, mes neurones. Parfois chanter.
Avec Claude dans mes souvenirs tout proches
« Demande au vent
si tu ne sais cueillir aux feuilles
le message du printemps … »
La voix, la guitare du vent partagé mardi résonne encore. Quel bonheur que les voix de double sexe : masculin, féminin, hétéro, homo, se mêlent si facilement quand le vent n’a pour nous que bienveillance.
Mais je n’ai garde d’oublier !
« Le vent
Ne le prends pas pour quelqu’un d’autre
Il n’est ni messie ni apôtre »
Merci Claude pour cette chanson ! Je suis allée un peu plus loin que mes promenades ventées habituelles avec elle, avec toi. Un peu plus riche de revenir dans les couloirs de vent qui me sont familiers. Un peu plus chantante, un peu plus envolée.

01 juillet 2005

sète-matin II-1-6

CUISINE SETOISE

Entrée : Salade niçoise mais les anchois sont de Sète, les oignons de Lusignan.

Daurades. La voisine dont le mari est pêcheur à la ligne les a pêchées . Elle est venue les offrir hier, toute préparées. Puis sonne à nouveau pour préciser qu’elles viennent d’être décongelées et qu’il faut les consommer tout de suite. Ce que nous avions déjà eu le temps de programmer. Trois belles daurades qui tiennent dans un même plat à condition de les serrer comme des sardines dans leurs boite. Sur lit d’oignons, pommes de terre, tomates, arrosé de vin blanc. J’ai aperçu le voisin qui est revenu avec sa femme à la deuxième visite, le voisin discret, le merveilleux pêcheur au bord de bord du canal capable de nous préparer trois daurades en trois jours de pêche justes à la dimension du plat et de notre appétit. Mais désireux tout de même de les accompagner jusqu’à notre reconnaissance émue.
Le débat n’est pas tranché paraît-il : pêcher la daurade en appâtant à la moule fermée, le hameçon fiché dans la coquille, ou à la moule ouverte. Une chose est certaine. Dans leur milieu naturel les daurades ne savent pas ouvrir les moules et les consomment toute craquantes.

Pêches. Celles qui sont des fruits. Au marché couvert je m’étais retourné sur une odeur particulièrement sublime. C’était de belles pêches mûres, cueillies sans doute de la veille et odorantes à en damner un saint ; Après tout si le péché est interdit aux saints aucun texte n’indique que la pêche le soit. Ce matin au réveil, la pêche merveilleuse m’a comblé les papilles.

Sète-soir II-1-7

LES GABIANS

Vers le port de pêche ils n’ont plus les mêmes résonances. Ils planent haut, ils vont chercher les bateaux qui rentrent vers 5 heures, les font franchir la passe, tombent en piqué sur les cadeaux que les pêcheurs en déchargeant leur balancent. Si nombreux ils ne se gênent pas les uns les autres. Leur ballet paraît parfaitement réglé. Ils reviennent vers la haute mer autour des bateaux qui s’en vont jusqu’à Frontignan congeler l’excès de pêche du jour. Puis, d’une nuée, s’éparpillent, peut-être jusqu’au Maroc ou seulement vers la pointe d’Agde.
A plat dos, la tête tournée vers eux, je suis leurs belles courbes, leurs queues d’aronde, leurs broderies d’air bleu. Je suis des yeux, je suis comme eux. Légère, tournoyante à l’arrêt.
Je repense à cette impression de calme bonheur, mardi soir en attendant le concert. Je m’étais allongée sur l’herbe de la petite cour derrière La Guinguette, heureuse de cette mise à disposition du patron : un espace à l’arrière de la rue, îlot de paix au milieu des immeubles, son espace familial intime auquel il tient, avec un gros cerisier en fin de production qui avait semé ses cerises confites de soleil par terre. J’ai regardé voler les hirondelles au dessus de moi et là, comme hier sur la plage, le temps s’est arrêté de passer. A fixé son ancre juste au-dessus de moi. Le temps des oiseaux.
Papa m’appelait « l’hirondelle ». Je sais pourquoi maintenant.

LE MOLE
J’aime cette arrivée sur le môle qui clôt l’entrée du port pour le mettre à l’abri des courants. Un bateau- guide va chercher les bateaux pour les accompagner et leur faire franchir la passe. Le sol est dallé de belles pierres cimentées entre elles. Un morceau parfois manque à l’appel. Un muret côté mer, mais il suffit de grimper sur le trottoir pour la voir, venant casser les cailloux de ses grosses vagues sur l’enrochement de la rive. La plaque commémorative dit : EXODUS

En pensée je fais un détour par « le journal de Sidonie ». J’ai recommencé à le corriger. Il serait bien que j’ai achevé au retour de Julie.

LES ROCHERS

Ceux du haut que la vague aujourd’hui n’atteint pas ne sont pas nettoyés au cascher par les services municipaux. Y traînent des sacs en plastique, des serviettes, des bouchons. Pourtant dans l’ensemble les rochers ont bonne mine. Les baigneurs aussi. Silencieux pour la plupart. Solitaires mais paisibles. Je remarque à proximité de mon campement deux superbes spécimens de jeunes hommes bronzés, minces, en accord avec le paysage et leur intérieur. Je repense à des photos que j’ai faites de ces rochers. Du temps de mon malheureux appareil photo classique. Pourquoi, fille de la terre, suis-je tant attirée, et de plus en plus, par la beauté des roches. Une solidification, une concrétion de mes idées d’envol ?

LES LIVRES ET LA PLAGE

Hanif Kureishi « Le corps » acheté ce matin
« … un acteur gay que je connaissais m’avait dit un fois
« Où que j’aille dans le monde, il me suffit d’un coup d’œil et je vois le besoin. Citoyen de nulle part, j’habite le Pays de Baise » Les homos réinventaient l’amour en le maintenant proche de l’instinct. »
Le personnage a choisi d’intégrer pour six mois un corps nouveau qu’il a choisi instinctivement au magasin d’accessoires : le corps d’un jeune homosexuel, lui qui en a soixante-cinq.
L’argument m’intéresse. L’histoire m’intéresse et le mode d’écriture. J’ai choisi le livre en vitrine sur son titre pensant l’offrir à P. Me le suis gardé pour le lire dès la deuxième page traversée.
Comment intégrer un corps jeune, différent, en expérimentation de découvertes, dans un mental âgé ? Ce n’est pas vraiment un problème, mon problème est plutôt « comment adapter mon corps âgé mais si subtil d’expérience, dans ce mental rajeuni que je sens de plus en plus prêt à vivre du nouveau ?

LA JOLIE ROBE

« C’est pas vilain » ai-je dit à haute voix en feuilletant les robes sur le port devant la boutique installée sur le trottoir et l’ancienne case de pêcheur. Insolite cet emplacement coincé entre la rue du haut et l’arrivée des bateaux de pêche. A côté une ancienne case occupé par les filets à farniente tressés par un vieux pêcheur, les coquillages dans des casiers, en vente aussi. Il y a toujours là un quarteron de vieux pêcheurs qui discutent le coup. Une femme était assise avec eux. Elle m’a fait un gentil sourire quand je suis passé avec la robe fraîchement achetée et enfilée par dessus mon short.
L’artisane avait entendu « c’est pas vilain »
- Bien sûr que c’est beau ! Regardez !
Elle a surgi pour épeler avec moi les présentoirs sur le quai. Je suis entrée et la robe rouge-rose-fushine m’a aussitôt fait signe. Celle-ci était déjà réservée. Il n’a fallu que deux minutes, à peine, pour qu’elle me la donne ( vende : 32 euros).
J’ai prononcé le mot magique « Tahiti ! »
- Mais oui ! J’y ai vécu quatorze ans
Et patati et patata. Nous sommes amies. La robe est belle. Moi, dans la robe. Idem : changement d’enveloppe quand nous pourrons changer de corps pour six mois. Moins chère ma solution ! Efficace. Adaptée pour la chanson :

« Elle avait mis sa jolie robe
sa jolie robe d’aujourd’hui
sortie tout droit de la garde-robe
avec des fleurs et sans souci … Etc …

Sète-matin I 30-6

Sète-matin 1

Les gabians omni présents s’enflamment d’un seul coup Pourquoi ? puis se taisent. Pourquoi ? recommencent. Ils crachent leur cri rouillé à la mitrailleuse, piaillent, jacassent, pérorent, grognassent …
Bruit et chaleurs. Faut s’y faire ! Le Sud quand tu prends ton billet de train te glisse une vague chaude et douce sous tes lunettes. Quand tu arrives c’est son effervescence sonore qui attaque ton sonotone et le fait vibrer à tel point que tu préfèrerais être sourd.

Puis le Sud, dans la rue, bruyante certes mais aussi vivante en diable, , te caresse l’échine comme un poulpe ( à Sète on dit un pouffre) de ses dix( ?) bras et te réconcilie avec lui, avec toi, avec les autres …

Brèves de trottoir

- C’est des sets sétois
- Remarque ! c’est original !

- Johnny Halliday en carton continue de vendre la deuxième paire de lunettes. Ne sait-il pas que je suis servie ?

- La petite fille ( 2 ans) tire sa langue rose tandis que la cadillac devant le bureau de tabac ondule sous ses fesses en couinant. La maman, patiente, attend la fin de la partie de balancier.

- Elle parle toute seule « oh ben ! là je trouverai p’têtre un bonnet. » Elle entre « j’suis pressée, vous avez du 48 ? »

Plein les yeux :
- Rose et jaune, mêmes jupettes frisottées à la mode, même véhémence au dessus de la poussette des enfants. Elles n’en peuvent plus. Elle pètent les plombs. Ce soir ça va barder dans la chaumière.
- Un bateau à moi, des copains à moi qui discutent sur le quai, assis pour mieux m’entendre à hauteur de bastingage. Elle est pas belle la vie ?
- P’tit vent. « On revit aujourd’hui. »
- Noir d’habits des pieds à la tête, blanc de peau il règle sa montre. « Oh NINE ! » Il n’est pas d’ici. Il n’a pas l’accent. C’est un « estranger »
- Deux béquilles, une de chaque côté, il parle tout seul lui aussi. Se tait pour traverser dans le passage clouté
- « Oh Commence pas ! » : la mère, à l’enfant ou au père ?
- Tout le quai De Lattre de Tassigny c’est à dire le canal royal entre le pont de la Savonnerie et le pont de la Civette est classé Monument historique. Conséquence : on interdit les bouches des climatiseurs sur la rue. Le coiffeur vient d’en installer une, côté cour. C’est un problème ces climatiseurs !
- L’église St Louis également historique. Pas besoin de climatisation. Les ancêtres avaient prévu l’épaisseur des murs contre la chaleur.

Sète-soir I 29-6

Sète-Soir 1

1H : Et puis voilà ! Se retrouver à attendre la nuit sur un autre rivage. Une nuit sage, silencieuse, calme … si possible.
Les gabians se sont tus alors que la ville continue de brailler, appeler, crisser sur les chapeaux de roues, striduler ses rengaines … Voitures qui passent, sono en délire, « à toute brezingue » hurlant leur jeunesse à décibels pour s’en convaincre.
Les gabians : à l’arrivée ce sont eux qui ont pris d’assaut en premier mes oreilles, le roulis de la rue ne servant que de fond sonore.
M raconte :
- le couvreur chez Josette a voulu récupérer sur le toit un outil oublié. Les gabians l’en ont empêché. Peut-être défendaient-il un nid oublié. Il a eu la frousse qu’ils attaquent. Il est redescendu sans son outil.
- M a aussi eu peur un jour. Un gabian se tenait sur la dalle des garages en face de son balcon et la regardait fixement. Il était là, immobile, silencieux. Elle a eu peur, est rentré à l’intérieur et a fermé la fenêtre.
Les gabians sont-ils des âmes mortes qui rodent pour récupérer un outil oublié ?

Le vent fait « carcasser » les volets. Le silence du dehors arrive enfin, occupé par une toux, par les horloges, les réveils cliquetant, cliquets du temps, dans cet appartement qui le mesure dans toutes les pièces. Une pendule dans le salon coasse comme une grenouille.
Les mouettes sont plus petites que les goélands, moins interrogatives, moins menaçantes et pourtant c’est par « Lou Gabian » que P a baptisé son bateau. Mâle assurance ? Nom plus chantant de l’occitan ?

Avec les pendules cette maison est tapissée de photos des arrière-petits enfants. J’aperçois les oreilles de H prises par de grosses boucles somptueuses à l’imitation des élégances maternelles. Dommage ! Je la préférais en petite fille !
Maintenant que la nuit est presque silencieuse j’aimerais aller la parcourir. Crainte d’éveiller les dormeurs. Me contenterai de cette promenade en mots.
J’écoute passer le temps.
Passant passeur, le temps ne me manque pas.