Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

17 mars 2017

et fin


portes.
La jeune femme portait ce jour-là son ensemble mauve aux radieuses fleurs bleues qu’il avait remarqué côté femmes du magasin, tantôt. Il s’avisa que s’il avait flané davantage dans le magasin avant d’acquitter la facture à la caisse, il aurait pu entendre le chef de rayon, ou une collègue de travail, appeler la vendeuse. Et ainsi il aurait tout su d’elle sans avoir à la brusquer..
Il aurait vu le délicat prénom tomber sur les épaules un peu lasses. Il voyait le buste se redresser. Il aurait glissé en partant à X un remerciement appuyé, personnalisé  par ce prénom ancien qui lui allait si bien. En tous cas, il se serait moqué d’arriver en retard à l’agence.  Sans doute Corinne en aurait tiré de fâcheuses déductions sur son compte, voire sur ses aptitudes au mariage. Mais il s’en fichait pas mal maintenant !
Depuis sa décision, depuis huit jours exactement, depuis cette minute-même où il avait pourtant pensé à tout calmement, sa vie se compliquait décidément à outrance ; les occasions se multi^pliaient.

L’autobus quitta enfin la station Ponsard. Aigri par cette longue attente, il comprit soudain que Corinne, elle non plus, ne conviendrait pas à son avenir. Cette façon cavalière qu’elle avait de vous regarder dans les yeux, d’accorder son prénom au premier instant, cette sûreté prétentieuse de diriger l’entretien car enfin, lui en eût-elle laissé le temps, il aurait très bien su répondre à la dernière question et la plus importante.  Il aurait su donner une réponse circonstanciée ... enfin ... ces genoux à découvert, si , si  ... proches, était-ce des façons correctes de les adresser à un client. Un simple client de son âge. Pfft !
Il y avait chez cette femme matière à réflexion mais plus encore motif à se méfier. En quoi d’ailleurs une directrice d’agence même CONJUGUO pouvait -elle assurer à sa retraite cette effervescence de bon goût à laquelle lui et le montant de cette retraite pouvaient prétendre? Sans parler des titres de maman et des obligations à long terme à sa banque.
 Non vraiment, si sa femme devait encore travailler , si elle tenait à ne pas abandonner l’agence qu’elle avait fondée et refusait d’en changer le nom incorrect que ferait-il, lui, de son temps pendant les sorties théâtrales et même cinématographiques, les coûteux repas au retaurant ? Il baillerait aux corneilles ? La dépense se justifie par de certaines exigences. Il n’allait pas se marier avec un courant d’air tout de même !  Aussi affranchit-il la lettre en tirant deux timbres à 2,80 de son porte-feuilles. Deux profils féminins tournés dans la même direction.. Il n’aurait pu supporter une nouvelle entrevue avec une préposée à travers un guichet de la Poste Centrale, une nouvelle confrontation avec une femme-tronc sous verre et à horaires fixes alors que son imagination était en train de ressusciter depuis le matin des trésors ... d’imagination, précisément. Il n’en était plus à quelques centimes supplémentaires d’affranchissement.

Il dormit. Longtemps, profondément. La lettre, séance tenante, avait été largement lestée et jetée à la mer. Il refusa le Témestat. Passant devant la chambre morte et bien qu’on fût Lundi, il avait ouvert les tentures, fait jouer les tiroirs de la commode et regardé sans appréhension pour la première fois les portraits au mur, le crucifix.
Dès son réveil, il se retint de téléphoner à l’agence. Corinne avait exigé un  délai de réflexion avant le deuxième entretien. Très bien : il attendrait.  Elle avait encore précisé “ Nous conseillons à l’homme de solliciter la première rencontre et de l’organiser.” Très bien ! Il organiserait.. Occuper donc cette deuxième journée d’attente à repérer le lieu  adéquat. Parc, hall de gare, pour ménager à chacun l’errance du regard sur les passants  ? Restaurant ?  Mais il lui faudrait payer la note et supposons que le premier coup d’oeil soit suffisant pour ne pas s’engager davantage ?

Pour la première fois de sa vie René Michaillat entrevoyait des abîmes. L’argent filerait vite à ce train-là. Il mangerait la grenouille. Celle de ses parents, celles des grands-parents déjà écornées par la guerre. Maman s’en retournerait dans sa tombe et qui sait  ? tenterait une de ses sorties familières !
Une fatigue immense s’abattit sur ses épaules mais il décida de la surmonter. Il jeta pêle-mêle à la poubelle les restants de Témestat et les principes maternels, mit en cartons le contenu des placards avec l’intention d’en faire profiter la paroisse. Sous ses yeux des tapisseries roses, vert pâle, mauves à fleurs bleues se mirent lentement à dériver..
Dans la foulée il reprit le 26. Jusqu’au terminus et au nouveau centre commercial. Il déjeuna au snack, monta et descendit  les escaliers roulants plus de trente fois, avec les enfants, s’encoigna dans l’allée, près du cinéma, pour fumer un cigarillo et attendit huit heures pétantes, oui pétantes - il avait vérifié sur sa nouvelle montre à pile - pour rentrer à la maison, ses six rouleaux sous le bras.
A trop vive allure. Bien trop vive allure.

Ils se marièrent à sa sortie d’hôpital . A la mairie. Pas à l’église. Marie-thé, elle s’appelait Marie-Thé mais il disait Thé -au -jasmin, ne voulut jamais occuper la chambre de maman. Elle y logea ses trois garçons. On mit la petite dans l’alcôve .
- Tu vois, disait-il, tu vois que mon premier rêve sans Témestat était prémonitoire !
 “ Prémonitoire !” Il avait toujours de ces expressions René !
Elle ne se fâchait jamais quand , pour la unième fois, le samedi soir, sa semaine finie et pourtant fatiguée comme c’est pas permis, elle écoutait la version “C’était écrit ! ” de leur rencontre.
P’tit bout d’femme acceptait pleinement d’avoir comblé les espérances sexagénaires mais encore vertes de son René .
Avec son délicieux accent exotique, elle l’invitait au voyage, tous frais payés, du p’tit bout d’un p’tit bout d’femme sur un grand rêve à la retraite.

1 commentaires:

Blogger Solange a dit...

Une histoire d'amour qui fini bien, ce n'est pas toujours le cas de ces rencontres.

lundi, 20 mars, 2017  

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